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| Le Désespéré de Gustave Courbet (1843-1845) |
il toucha mes prunelles.
Mes prunelles s’ouvrirent voyantes
Entame Pouchkine dans son poème "Le prophète". Tourmenté par cette même soif en dépit des fulgurances qui me traversent parfois, travaillé en dedans par un certain désespoir à vaincre doutes et surmonter les ombrages qui gênent ma marche, je tourne et retourne des nuits durant dans ma caboche les pensées qui m'agitent.
Qu'est ce que la vie sinon une aporie (une difficulté logique insoluble dixit Le Robert), me dis-je. Mon aporie à moi se concentre dans ce "Des-espoirs" à surmonter chaque jour et tient tout entier dans la place accordée à cette "logique" qui voudrait tout expliquer de ce que je vis, tout anticiper, tout comprendre, tout prévoir, là où il n'y a rien à comprendre, rien à anticiper, rien à prévoir mais juste VIVRE et VOIR.
Sorti de ma nuit, je griffonne sur mon carnet les mots qui suivent pour en dérouler le fil et tenter de trouver une sortie à ce dédale infini.
« Aporie du vivant qui broye du noir : creuser désespérément son désespoir pour sortir du désespoir...
C'est paradoxalement en abandonnant définitivement tout espoir que le désespéré se libère définitivement de sa condition d'enfermé en son noir. Je dis définitivement car troquer un espoir pour un autre revient au même. Quel espoir atteint satisfait vraiment, comble dirions-nous, l'espérant actif qui a trouvé moyen d'atteindre son but déclaré ? Tout espoir atteint débouche immanquablement sur une insatisfaction qui relance sa recherche et le fait peu ou prou laisser derrière lui l'espoir atteint pour retomber dans la recherche d'un autre espoir à atteindre.
Extrospection :
Est-ce parce que le désespéré de notre histoire creuse qu'il parvient à ses fins? S'il creuse encore et encore c'est qu'il n'est pas encore totalement désespéré, au fond. Peut-on le qualifier alors de véritable désespéré ? Le véritable désespéré mettrait fin à ses jours et signerait par là l'échec de sa tentative à sortir de son désespoir. C'est parce que le désespéré garde encore un peu, ne serait-ce qu'un brin, un brin d'espoir qu'il creuse encore et encore... Dans l'espoir de. Ce qui fait que le désespoir n'est pas désespoir en fait, mais un Des-Espoirs tapis qui attend de germer pour sortir à la lumière et élever sa tige au dessus de lui. Combien de larmes faut-il verser pour faire éclore fleur et fruit ?
"L'espoir le pire des poisons de l'âme ?" C'est ce qu'enseignait Bouddha.
Abandonne rtout espoir, donc. Mais sans Espoir, que faire, qu'entreprendre, où aller ? N'est-ce pas l'espoir-de qui nous meut ? Nous met en mouvement, nous pousse à sortir de nous même pour chercher autre chose ? Et d'où nait cet espoir de, cet espoir d'autre chose ? Ne serait-ce pas un désespoir acté à proprement parler ? Un constat d'inanité de notre condition présente qui nous met face à la nécessité de chercher à sortir de cette condition ?
Boucle sans fin qui ne trouve sa résolution qu'en sortant littéralement de toute projection définie dans l'avenir par les voies du calcul logique. Appel à vivre pleinement le moment présent, l'ici et maintenant que d'aucun traduiront par danser joyeusement sur l'abîme (Nietzsche) ou à l'inverse se détacher de tout (Bouddha) jusqu'à s'oublier soi-même pour entrer dans l'immobile et immuable Présence qui porte le Tout.
Formulé autrement, ce serait l'abandon de l'espoir comme attente, non l'espoir comme mouvement. Ce qui disparait dans l'abandon de tout espoir n'est pas la capacité d'être mû vers..., mais l'attachement à la réalisation d'un rêve formulé à priori qui viendrait d'un ailleurs ou d'un autre que soi-même et de son propre élan-vers.
"L'espoir-de" se transforme alors en "espérance-en", ici en ma propre capacité à donner sens à mon engagement dans l'action quel qu'en soit le résultat, non parce qu'il mène quelque part, mais parce que s'engager est déjà être EN.
L'alternative n'est pas entre espérer et ne rien faire, mais entre l'espoir comme projection aliénante vers un futur programmé voulu décidé, et l'espérance comme confiance dans la valeur intrinsèque de l'action présente. Ce qui me meut alors n'est plus l'espoir-de, mais la reconnaissance que le mouvement lui-même dans lequel je suis engagé est déjà la destination (le but) à atteindre.
"La voie est le chemin et le chemin" est la voie dit le TAO. C'est donc perpétuellement aller de l'avant qu'il faut, comme le soulignait Jack Kérouac dans son ouvrage Sur la route, le roman le plus spirituel qui soit, "Nothing behind me, everything ahead of me, as it is ever so on the road", sans se soucier ni du lendemain et encore moins du passé. "À chaque jour suffit sa peine", disait Jésus. À chaque pas, je marque le tempo et forge le chemin qui fera mon Salut, ma voie... ET MA VOIX. »
Revenu à ma table de travail, je transcris tout cela sur mon ordi pour en faire un article et médite ce que je viens d'écrire comme un jet d'espoir qui me remet en marche. L'écriture a cela de magique qu'elle peut guérir les plaies les plus enfouies en agissant comme un baume qui réveille et apporte chaleur et lumière intérieure. Le soleil éclatant qui inondait de lumière vive ma maison quand j'écrivais ces lignes s'est soudainement tu pour faire place à une pluie drue. Un instant je me suis cru sorti de ces affres qui me tourmentent la nuit. Mais aussitôt le doute resurgit. Sacré doute qui n'en fini pas de revenir... Quelle force il faut avoir en soi pour vaincre en permanence ce doute-là !
Ainsi va la vie, entre doute et espoir, entre ombres et lumière, entre soleil et pluie. Est-ce pour cela que l'homme a deux jambes et non une ? Pour alterner entre chute et ressaisissement à chaque pas ? "Tu tombes ? Non, Combats!" rappelle Le Signe. Combattre ! Pour certains, c'est sortir le fusil. Pour moi c'est tout le contraire. C'est entrer en moi pour acquérir force d'humilité et de douceur là où hurle ma rage et tinte mon orgueil.
Eric Desneux dit ÆRIK

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